Eswatini 2019

Umhlanga, la danse des roseaux

1 et 2 septembre 2019

Ces jeunes filles de la même chefferie se préparent pour offrir leurs roseaux à la Reine d’EswatiniPhoto : Marion

L’Umhlanga est l’événement culturel le plus connu d’Eswatini, mais aussi l’un des plus spectaculaires d’Afrique. Eswatini, appelé Zwaziland jusqu’en 2018, dernière monarchie absolue d’Afrique compte 1,1 million d’habitants. La fête a lieu la dernière semaine d’août et début septembre dans la région de Lobamba à Ludzidzini. L’Umhlanga dure huit jours, pendant lesquels les jeunes filles coupent de grands roseaux qu’elles ramènent pour réparer le brise-vent autour de la résidence royale de la Reine mère. Ensuite, elles dansent pour célébrer ce rite. Jusqu’à 40 000 jeunes filles y participent, vêtues de tenues traditionnelles aux couleurs vives. La virginité est une condition préalable à la participation, car il est considéré comme tabou pour une femme « impure » de couper le roseau. Aujourd’hui, cette exigence renforcerait les efforts pour lutter contre le VIH qui touche plus de 27% de la population, soit le taux le plus élevé au monde. 

Grande parade devant la tribune royalePhoto : Marion

Cette danse des roseaux est issue d’une tradition séculaire : l’Umchwasho. 

L’Umchwasho est un rituel d’abstinence en Eswatini. Pendant ce rituel, les femmes non mariées n’ont pas le droit d’avoir des relations sexuelles et doivent revêtir des colliers traditionnels. Les colliers, confectionnés en laine, se portent autour du cou comme un foulard. Les jeunes filles âgées de 18 ans ou moins doivent porter des colliers bleus et jaunes, les contacts avec les hommes sont interdits. Celles de 19 ans ou plus revêtent un collier rouge et noir, peuvent avoir des contacts avec les hommes mais pas de rapports sexuels. Celles qui enfreignent l’Umchwasho sont condamnées à payer au chef du village une amende sous la forme d’un animal, généralement une vache. 

Après un certain nombre d’années, lorsque les filles avaient atteint l’âge du mariage, elles effectuaient un service de travail collectif pour la Reine mère, qui se terminait par des danses et des festins.

« L’umchwasho le plus récent a eu lieu entre le 9 septembre 2001 et le 19 août 2005. Le roi Mswati III a promulgué cette abstinence dans le but de stopper l’épidémie de SIDA, particulièrement virulente dans le pays. Il était prévu à l’origine pour 5 ans mais il a été interrompu une année plus tôt. La promulgation de l’Umchwasho a rencontré une forte opposition et de nombreuses femmes ont refusé de porter l’écharpe requise en laine. Le roi eut droit, lui aussi, à des critiques quand il se maria durant cette période et fut, lui-même, soumis à l’amende d’une vache. Quand le rituel fut terminé, les colliers furent brûlés lors d’une grande cérémonie. (Wikipedia) Â»

Marion
Costumes traditionnels avec les colliers de lainePhoto : Marion

Le premier jour de l’Umhlanga les filles se rassemblent au village royal de la Reine mère à Ludzidzini. Elles viennent en groupe des quelques 200 chefferies et sont enregistrées pour la sécurité. Les groupes sont supervisés par des hommes, généralement quatre, nommés par chaque chef. Elles dorment dans les huttes des parents dans les villages royaux, dans les salles de classe de quatre écoles voisines ou dans d’immenses tentes installées pour l’événement. 

Immense tente où les jeunes filles séjournentPhoto : Marion

Pour la collecte des roseaux, les filles sont séparées en deux groupes, les plus âgées de 14 à 22 ans et les plus jeunes de 8 à 13 ans. L’après-midi du deuxième jour, elles marchent vers les roselières encadrées par leurs surveillants. Les filles les plus âgées se rendent souvent à Ntondozi à 30 kilomètres tandis que les plus jeunes vont généralement à Bhamsakhe, près de Malkerns à 10 kilomètres. Les filles atteignent les environs des roseaux dans l’obscurité et dorment dans des tentes fournies par le gouvernement.

Une journée entière est consacrée à la collecte des roseaux. Les filles coupent entre dix et vingt roseaux, à l’aide de longs couteaux. Le lendemain elles rentrent au village royal et auront une journée de repos pour préparer leur parure.

Préparation des parures pour la danse des roseauxPhoto : Marion

Pour le public, les festivités débutent le sixième jour. 

Après des jours à parcourir les collines, à couper les roseaux et à camper, les filles sont déterminées à faire la fêtePhoto : Marion

 

Elles adorent poser pour les photosPhoto : Marion
Parade dans les ruelles où des marchands ambulants se sont installés près du palais royal pour le weed-end de fêtePhoto : Daniel

En début d’après midi, chaque groupe part déposer ses roseaux à l’extérieur des quartiers de la Reine mère puis se dirige vers l’arène principale, où il danse et chante. 

Les jeunes filles vêtues de costumes traditionnels, de courtes jupes aux couleurs vives, parfois perlées, avec des écharpes ou des colliers de perles qui dévoilent leurs seins nus, dansent et chantent pour célébrer l’unification des femmes du royaume en présence de la Reine mère.

Cette chefferie a choisi des costumes perlésPhoto : Daniel
La Reine mère reste dans la tribune d’honneurPhoto : Daniel

Chaque groupe de filles est commandé par une capitaine, l’Induna, choisie par la famille royale parmi les roturières. Elle doit être une danseuse experte et connaître le protocole royal. Elle devient ainsi l’homologue des princesses swazies, filles du roi.

Cette Induna, à gauche, est responsable de ce groupe où figure de nombreuses princesses couronnées de plumesPhoto : Marion

Les danses se poursuivent le septième jour, en présence du roi. 

Le roi Mswati III en jupe jaune et noire avec peau de léopardPhoto : Daniel

Chaque unité danse devant lui à tour de rôle. Alors que la veille, la Reine mère était restée dans la tribune, le Roi participe à la danse. Le roi Mswati III règne depuis 1986. Il a 14 épouses et 34 enfants. Son père, Sobhuza II qui régna de 1921 à 1982, a épousé 70 femmes, qui lui ont donné 210 enfants entre 1920 et 1970. Environ 180 ont survécu à l’enfance, et 97 étaient encore en vie en juillet 2000. A cette époque les petits-enfants de Sobhuza étaient plus de 1000. On reconnait la nombreuse descendance royale dans la foule car les princes et les princesses portent une couronne de plumes dans la chevelure. Le nombre de plumes indique la proximité de la parenté avec le roi.

Les princesses du royaume portent des couronnes de plumesPhoto : Marion

L’ampleur du spectacle est saisissant, des milliers de filles au corps palpitant avancent comme une gigantesque armée sur le terrain de parade de Ludzidzini. Immergées dans la musique et les couleurs, les filles piétinent, chantent et se balancent au pas. Les chevilles claquent, les corps dénudés parés de costumes éclatants se fondent dans un kaléidoscope vivant et chantant. 

Video de l’Umhlanga 2019

L’escorte de guerriers ornés de peaux de félins, de bâtons et de boucliers, accompagnent le roiPhoto : Daniel

Aujourd’hui, la fête l’Umhlanga est plus fréquentée que jamais. En effet, les historiens s’étonnent de la popularité croissante de la culture traditionnelle à Eswatini alors qu’ailleurs l’on observe son déclin. Les habitants de ce petit royaume montagneux sont intensément fiers de leur culture profonde et participent au festival.

Nous avons, cependant, hésité à assister à cette fête, suite à la lecture d’un article de Sara Assarsson, journaliste suédoise qui donne un autre éclairage sur cette fête dans un article du Guardian du 22 septembre 2016.

« Imprégné de tradition, le festival annuel de danse des roseaux attire des milliers de femmes swazies. Mais sont-elles obligées de défiler devant le dernier monarque absolu d’Afrique ?

Certaines craignent que l’absence de participation ne compromette leurs études, leur emploi ou les finances de leur famille. 

Jeune femme célibataire, Silondukuhle, 17 ans, devait assister au festival annuel d’Umhlanga ou danse des roseaux. Cette année, elle a refusé d’y aller.

« Mes parents essaient de me convaincre, mais je ne veux pas y aller. J’ai peur », dit Silondukuhle, debout à la fenêtre de sa maison à Mshingishingini, un hameau de la pointe nord du Swaziland, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Afrique du Sud. « L’année dernière, il y a eu un accident et beaucoup de filles sont mortes. Une famille a perdu trois filles. J’ai peur que cela se reproduise ».

L’Umhlanga, une tradition culturelle swazie qui célèbre la chasteté et la virginité, attire des dizaines de milliers de femmes de tout le pays. Le dernier jour du festival, les jeunes femmes, ou « jeunes filles », défilent torse nu au village royal. Traditionnellement, le roi est autorisé à choisir l’une des femmes comme épouse, mais ces dernières années, le festival s’est davantage attaché à préserver un patrimoine culturel.

Cependant, les critiques se multiplient de la part des groupes de défense des droits de l’homme qui prétendent que ces cérémonies culturelles sont imposées au Swaziland par la dernière monarchie absolue d’Afrique.

« Ils disent que nous ne sommes pas forcées, mais nous le sommes. Les familles qui n’envoient pas leurs filles à l’Umhlanga doivent payer une amende, généralement une chèvre ou une vache », explique Nokwanda, 29 ans, enseignante. « Quand j’étais petite, j’ai assisté trois fois au festival d’Umhlanga. J’aimais ça, mais en vieillissant, je n’étais pas à l’aise avec certaines choses.

« Les filles dorment dans de petites salles de classe ou dans des tentes sans installations sanitaires adéquates. Il y a aussi beaucoup de règles à respecter quand on assiste à l’Umhlanga. Nous sommes au 21ème siècle. On ne devrait pas être obligée de porter certains vêtements ».

Le Swaziland, un petit pays enclavé d’Afrique australe, a une société profondément dominée par les hommes. La polygamie et la violence à l’égard des femmes sont très répandues. Comme l’indique un récent rapport d’Action for Southern Africa : « Les femmes continuent de subir des discriminations, sont traitées comme des êtres inférieurs aux hommes et se voient refuser des droits ».

Le pays est dirigé par le roi Mswati III, 48 ans (52 ans aujourd’hui), qui nomme les ministres, les chefs et les juges – et possède la plupart des terres.

« Nous sommes fatigués de lui. Mais nous pourrions en être victime si nous nous exprimons. Dans notre pays, nous n’avons pas le droit d’exprimer nos opinions », déclare Nokwanda.

Pour certaines filles, participer au festival est un moyen de gagner un peu d’argent…

« Ce sera une semaine amusante. Nous sommes très excitées », a déclaré Mapu, l’une des adolescentes les plus âgées. « On nous donne 500 rands [30€] chacune. Certaines filles ont déjà participé au festival à plusieurs reprises, d’autres y sont pour la première fois. Les filles sont tenues d’y assister à partir de 11 ans, « si elles sont assez fortes ».

Environ deux tiers des Swazis vivent en dessous du seuil de pauvreté et une grande partie de la population est exposée à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition, selon le Programme alimentaire mondial. Pour une famille pauvre, le revenu tiré de la danse des roseaux est une contribution précieuse au ménage. « C’est une stratégie bien planifiée pour attirer les filles avec de l’argent, des chaussures et de nouveaux cartables », déclare Thuli Zwane, de l’Assemblée des femmes rurales du Swaziland. « La majorité d’entre elles vient de familles pauvres et le fait qu’elles aient un repas ne peut que les attirer ».

Zwane est une militante des droits de la femme et une avocate pro-démocratie. Enfant, elle a refusé de participer à l’Umhlanga. « Ma famille a été condamnée à une amende de 20 emalangeni [1,5 €] par an de 1986 jusqu’à mon mariage. Vous pouvez vous imaginer combien d’argent cela représentait à l’époque », dit-elle.

Zwane, une mère de six enfants, dit qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’envoyer sa fille de 14 ans à la cour royale. « Je ne suis pas du tout à l’aise à l’idée qu’elle y soit. J’ai peur qu’elle soit exploitée, qu’elle rencontre des garçons ou qu’elle dorme le ventre vide. Mais si elle n’y va pas, elle pourrait se voir refuser une bourse pour poursuivre ses études. En tant que parent, je dois envoyer mon enfant afin d’assurer son avenir ».

Elle affirme que le fait de forcer ou de soudoyer des jeunes filles pour qu’elles assistent à l’Umhlanga est une violation de leurs droits humains. « Les chefs abusent de leur pouvoir et pénalisent les familles qui n’y participent pas. L’idée est que les femmes se montrent torse nu devant le roi pour qu’il puisse choisir une épouse. C’est très dégradant pour les femmes. On ne se promène pas torse nu à la maison. Pourquoi devrions-nous le faire lors de cérémonies culturelles ? « Pour certaines jeunes swazies, l’Umhlanga est une semaine de fêtes et de rencontres entre amies. Bianca, une jeune femme d’une vingtaine d’années, bien habillée, s’y rend avec ses amies, maquillée, portant des perles colorées et des lunettes de soleil de marque. « Nous ne prenons pas toute cette histoire de chasteté trop au sérieux. Je suis vierge à 99 % », dit-elle en riant.

Pendant le festival, des centaines de femmes sont entassées dans d’immenses tentes bâchées érigées près du village royal de Lobamba. Des couvertures, des matelas et des sacs de transport recouvrent le sol. À l’extérieur du camp, des vendeurs ambulants vendent des tissus imprimés, des vêtements et des boissons…

Pour Mapu et ses amies, la semaine a été longue et épuisante. « Je suis fatiguée et j’ai soif. Nous n’avons pas beaucoup dormi. Mais nous ne regrettons pas d’y être allées. Nous avons besoin d’argent », dit-elle.

Sara Assarsson 

Parade de l’UmhlangaPhoto : Daniel
Danse de l’UmhlangaPhoto : Marion
Danse de l’UmhlangaPhoto : Marion

Cette tradition reste vraiment authentique et n’est pas maintenue dans un but touristique. Il y avait d’ailleurs très peu de touristes.

Tribune des VIPPhoto : Marion

Beaucoup de paradoxes dans cette dernière monarchie absolue africaine. D’un côté nous avons cette fête traditionnelle sensée préserver la chasteté des filles, les faire participer à un hommage à la Reine mère et ainsi produire de la solidarité en travaillant ensemble. Et de l’autre, le train de vie luxueux du roi Mswati III et de ses proches pour lesquels des centaines de voitures de luxe ont été livrées fin octobre 2019 alors que 59 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Fête de l’UmhlangaPhoto : Daniel
  1. Béatrice

    Merveilleuses danses et que de couleurs, de grâce et de charme! Merci à vous 2 de toujours nous faire voyager! Là, il manquait le son!!!

    Répondre
  2. francine lesourd

    Merci de nous emmener ……ailleurs et de nous faire connaître ces rites surprenants mais combien importants pour ces populations dont nous ignorons tout. Amicalement

    Répondre
  3. Olivier

    De ma Haute-Savoie (ou vous êtes aussi confinés si j’ai bien compris) je lis toujours avec grand plaisir le récit de vos pérégrinations dans ce caste monde. Pourquoi ? Car je trouve toujours vos propos équilibrés, bien pesés, et que vos photos sont toujours magnifiques. Très étonné par l’ampleur de cette fête, ébloui par la couleur et le piqué de vos photos, et forcément interpellé par la réalité contrastée que vous décrivez.

    Pour moi et mon épouse, encore cinq ou six ans de travail (confinés?) avant quelque voyage au cours plus long, vers le sud des Amériques ou vers l’Afrique, mes deux continents de coeur.

    Merci et continuez !

    Olivier

    Répondre
  4. Sanfroise

    Bravo Marion! C’est un spectacle incroyable, plein de beauté et exceptionnel auquel vous avez assisté. Merci de nous faire participer… et c’est bien de pouvoir lire le « dessous des cartes » grâce à l’article. Qu’en penser réellement. Quand on vit là-bas c’est troublant… Tendresse comme toujours

    Répondre

Écrire un commentaire

  • (Ne sera pas publié)